lundi, août 07, 2006

une pensée terrible et affolante

Ma traduction d'un article de Robert Fisk (08/05/2006) ====== Une pensée terrible et affolante: il y aura un autre 11 Septembre. La pièce a tremblé. Mon appartement ne s’est pas tant secoué depuis le tremblement de terre de 1983. C’était à cause de la force des explosions Israéliennes dans la banlieue sud de Beyrouth, cinq kilomètres de chez moi. Hier matin, la pression atmosphérique a changé à la maison ; dehors, dans la rue, les palmiers étaient déplacés. Est-ce que ce sera comme ça tous les jours ? Combien de civils peut-on forcer à devenir sans-abri avant de forcer une révolution ? Qu’arrivera-t-il ensuite ? Les Israéliens vont bombarder le centre de Beyrouth ? Le Corniche ? Est-ce la raison pour laquelle les navires de guerre étrangers sont venus rapatrier leurs citoyens, pour préparer Beyrouth pour la destruction ? Hier, cela va sans dire, était un autre jour de massacres, grands et petits. Le plus grand massacre apparemment était au nord du Liban, tuant 40 fermiers, dont certains étaient des Kurdes – un peuple qui n’a même pas de pays. Un missile Israélien, dit-on, a explosé alors qu’ils chargeaient des légumes dans un camion réfrigéré, pas loin d’Al-Qaa, un petit village à l’est de Hermel dans au nord. Les blessés étaient transportés en Syrie, car toutes les routes du Liban ont été détruites par les bombardements Israéliens. Plus tard, nous avons appris qu’une attaque aérienne a détruit une maison dans le village de Taibeh, au sud, tuant sept civils et blessant dix autres, qui cherchaient à s’abriter contre les attaques. En l'Israël deux civils ont été tués par les missiles du Hezbollah mais, comme d'habitude, le Liban a subi le poids des attaques du jour qui se sont concentrées – aussi invraisemblable que cela puisse paraître – sur les centres chrétiens, qui sont traditionnellement solidaires avec Israël. C'était la communauté chrétienne maronite dont les miliciens Phalangistes s’étaient rangés au côté d'Israël durant l’invasion de 1982 de Liban. Et pourtant hier l’armée de l'air d'Israël a attaqué trois ponts au nord de Beyrouth et - comme d'habitude - c'était les petits gens qui moururent. L’un d’entre eux était Joseph Bassil, un homme chrétien de 65 ans, qui comme d’habitude était sorti faire son jogging avec quatre amis, au nord de Jounieh. « Ses amis sont partis après avoir parcouru quatre fois le long du pont, nous relate un membre de sa famille un peu plus tard, et Joseph a décidé de faire un tour de plus sur le pont. C’est ce qui l’a tué. » Les Israéliens n'ont pas donné de raison pour les attaques - aucun combattant du Hezbollah ne s’est jamais aventuré dans cette forteresse de chrétiens maronite. Maintenant, les convois humanitaires ne s’y aventureront pas non plus. On a peur au Liban que ces dernières attaques aériennes soient les effets de la frustration et non pas de la stratégie militaire d’Israël. En effet, alors que la guerre continue à tuer des innocents – Libanais en majorité – le conflit semble de plus en plus n’avoir plus d’objectif précis. Les forces aériennes de l’Israël ont peut-être réussi à tuer 50 membres du Hezbollah – mais aussi 600 civils, des ponts, des laitiers, les stations de services, les réserves de pétroles, les pistes d'aéroport et les milliers de maisons. Mais à quelle fin ? Est-ce que l’Amérique peut encore croire que le but d’Israël est de détruire le Hezbollah, alors que son armée en est clairement incapable ? Washington ne se rend-il pas compte que quand Israël se fatiguera de cette guerre, il plaidera pour un cessez-le-feu que seul Washington pourra obtenir mais en faisant ce qu’il déteste le plus : aller à Damas et demander l'aide de Bashar Al-Assad, le président de la Syrie ? Qu’arrivera-t-il au Liban, entre temps ? Les ponts et les bâtiments peuvent être reconstruits – sans doute avec des prêts de l’union européenne – mais beaucoup de libanais commencent à mettre en doute les institutions même de la démocratie, ce dont les Américains chantaient les louanges il y a de cela un an. A quoi sert un gouvernement démocratiquement élu au Liban s’il est incapable de protéger son peuple ? Pourquoi avoir une armée de 75,000 soldats si elle est incapable de protéger sa nation, si elle ne peut pas être envoyée à la frontière, si elle ne peut pas attaquer les ennemis de Liban, et si elle ne peut pas désarmer le Hezbollah ? En effet, pour beaucoup de shiites libanais, le Hezbollah est maintenant l'armée libanaise. La résistance du Hezbollah a été si féroce, et son attaque contre les forces terrestres Israéliennes si déterminée que beaucoup de gens ici semblent ne plus se rappeler que c'était le Hezbollah qui a provoqué cette dernière guerre en traversant la frontière le 12 juillet dernier, tuant trois soldats Israéliens et en capturant deux autres. Les menaces de l'Israël d'élargir le conflit sont désormais accueillies avec amusement et non plus avec horreur par la population libanaise, qui depuis trente ans écoute les avertissements d'Israël avec une lassitude croissante. Et pourtant ils craignent pour leurs vies. Si Tel-Aviv est frappé, est-ce que Beyrouth sera épargné ? Ou si le centre de Beyrouth est frappé, est-ce que Tel-Aviv sera épargné ? Hezbollah utilise maintenant le discours d’Israël – oeil pour oeil. Chaque provocation verbale Israélienne se heurte à une provocation verbale du Hezbollah. Et est-ce que les Israéliens se rendent compte qu'ils légitiment le Hezbollah, qu'une armée désordonnée de guérillas est en train de se prouver en gagnant contre une armée Israélienne dont les cibles, si elles sont délibérées feront d’elle une criminelle de guerre et si elles sont accidentelles suggèrent qu’elle est à peine plus avancée que les forces arabes, avec qui elle se bat, de façon intermittente, depuis plus d’un demi-siècle ? Des précédents extraordinaires sont en train d’être crées dans cette guerre au Liban. En effet, un des plus grands changements dans la région, depuis trente ans, est le refus des Arabes d’avoir peur. Leurs dirigeants - nos dirigeants arabes« modérés », partisans de l'ouest – comme le Roi Abdullah de la Jordanie et le Président Mubarak de l’Egypte – ont peut-être peur. Mais pas leurs peuples. Et une fois qu’un peuple n’ait plus peur, on ne peut pas les effrayer de nouveau. Ainsi donc la politique Israélienne d’écraser et de forcer les arabes à se soumettre ne marche plus. C'est un échec politique que les Américains découvrent maintenant en Iraq. Et à travers le monde Musulman, « nous » - l'Ouest, l’Amérique, l’Israël - ne combattons pas des nationalistes mais des islamistes. Et observer le martyre libanais cette semaine - ses enfants abattus à Qana, emballés dans les sacs en plastique jusqu'à ce qu’il n’y ait plus de sacs et qu’on ait dû emballer les corps dans des tapis – une pensée terrible et affolante me passe par la tête – il y aura un autre 9/11.
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