samedi, avril 01, 2006

Place aux géants…

Parfois, il ne faut pas parler. Apres le tremblement de terre en Iran, hier matin, je savais qu’aller sur le net gâcherait ma journée complètement. Je savais qu’il y aurait des commentaires par des esprits vides, inhumains. Je le savais. Mais quand on suit la politique, il faut lire les racailles et les fripouilles aussi. Je savais que les sites conservateurs diraient que c’est Dieu qui punit l’Iran ; je savais que ces ordures se réjouiraient de la misère des autres. Je savais qu’ils trouveraient de « la justice divine » dans les failles géologiques. Je le savais mais je devais les lire quand même. Je savais aussi que je ne pourrais pas rester poli. Je fais toujours de mon mieux pour maintenir la politesse moyen-oriental au delà de la limite même du raisonnable. Je fais tout pour ne pas avoir recours à un registre déplacé et insultant. Mais je savais aussi qu’aujourd’hui j’aurai du mal. Je ne veux pas laisser la colère guider mon clavier ; mais je ne veux pas laisser le silence gagner mon esprit non plus. Alors je fais appel à un esprit astronomiquement plus fort que le mien – Voltaire. Son petit Candide était une réponse à ceux qui essaient de trouver dans les détartres naturels la raison théologique. A lui seul, il avait quasiment battu ce point de vue philosophiquement intenable et éthiquement mensonger. Avant d’écrire Candide, il avait écrit ce poème sur le désastre de Lisbonne, un tremblement de terre historique. Bien entendu, les pourris de l’époque avaient aussi essayé d’interpréter le séisme comme un message de dieu. Voici – en partie la réponse de Voltaire. Je le laisse parler et je me tais. ======= O malheureux mortels! ô terre déplorable! O de tous les mortels assemblage effroyable! … Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours! … Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes, Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes, Direz-vous: "C'est l'effet des éternelles lois Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix"? Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:" Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes"? Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants Sur le sein maternel écrasés et sanglants? Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices Que Londres, que Paris, plongés dans les délices? Lisbonne est abîmée, et l'on danse à Paris. Tranquilles spectateurs, intrépides esprits, De vos frères mourants contemplant les naufrages, Vous recherchez en paix les causes des orages: Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups, Devenus plus humains, vous pleurez comme nous. Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes Ma plainte est innocente et mes cris légitimes Partout environnés des cruautés du sort, Des fureurs des méchants, des pièges de la mort De tous les éléments éprouvant les atteintes, Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes. C'est l'orgueil, dites-vous, l'orgueil séditieux, Qui prétend qu'étant mal, nous pouvions être mieux .… Les tristes habitants de ces bords désolés Dans l'horreur des tourments seraient-ils consolés Si quelqu'un leur disait: "Tombez, mourez tranquilles; Pour le bonheur du monde on détruit vos asiles. D'autres mains vont bâtir vos palais embrasés D'autres peuples naîtront dans vos murs écrasés; Le Nord va s'enrichir de vos pertes fatales … A des infortunés quel horrible langage! Cruels, à mes douleurs n'ajoutez point l'outrage. Non, ne présentez plus à mon coeur agité Ces immuables lois de la nécessité … "Ce malheur, dites-vous, est le bien d'un autre être." De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître; Quand la mort met le comble aux maux que j'ai soufferts Le beau soulagement d'être mangé des vers! Tristes calculateurs des misères humaines Ne me consolez point, vous aigrissez mes peines … Je ne suis du grand tout qu'une faible partie: Oui; mais les animaux condamnés à la vie, Tous les êtres sentants, nés sous la même loi, Vivent dans la douleur, et meurent comme moi.… Un désordre éternel, un chaos de malheurs, Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs, Ni pourquoi l'innocent, ainsi que le coupable Subit également ce mal inévitable. Je ne conçois pas plus comment tout serait bien: Je suis comme un docteur, hélas! je ne sais rien. … L'homme, étranger à soi, de l'homme est ignoré. Que suis-je, où suis-je, où vais-je, et d'où suis-je tiré? Atomes tourmentés sur cet amas de boue Que la mort engloutit et dont le sort se joue, Mais atomes pensants, atomes dont les yeux, Guidés par la pensée, ont mesuré les cieux; Au sein de l'infini nous élançons notre être, Sans pouvoir un moment nous voir et nous connaître. Ce monde, ce théâtre et d'orgueil et d'erreur, Est plein d'infortunés qui parlent de bonheur. Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être: Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître. Quelquefois, dans nos jours consacrés aux douleurs, Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs; Mais le plaisir s'envole, et passe comme une ombre; Nos chagrins, nos regrets, nos pertes, sont sans nombre. Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir; Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir, Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense. Un jour tout sera bien, voilà notre espérance; Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion.
free web page counters